Les œuvres de Bernini à la Villa Borghèse

Les œuvres de Bernini à la Villa Borghèse

Contexte et commanditaire

Toutes les sculptures de Gian Lorenzo Bernini présentes à la Galleria Borghese furent commandées au début du XVIIe siècle par le cardinal Scipione Borghese, neveu et secrétaire du pape Paul V. Passionné d’art et collectionneur implacable, Scipione Borghese joua un rôle décisif dans l’ascension du jeune Bernini, lui confiant la transformation du marbre en drame vivant pour magnifier sa propre villa romaine.

Panorama de la section sculpture

La Galleria – aménagée dans la villa construite vers 1613 – expose une vingtaine de sculptures majeures. Parmi elles, six œuvres de Bernini constituent le cœur de la collection baroque :

  • Apollon et Daphné
  • David
  • L’Enlèvement de Proserpine
  • Énée, Anchise et Ascagne
  • Buste du cardinal Scipione Borghese
  • Buste de Paul V
  • Ébauche en terre cuite pour le monument équestre de Louis XIV.

1. Apollon et Daphné (1622–1625)

Contexte mythologique : Inspirée des Métamorphoses d’Ovide, la scène fige le moment où Daphné se transforme en laurier pour échapper à Apollon.

Description et dimensions : Marbre de Carrare (environ 243 cm de haut). Bernini sculpte la tension musculaire d’Apollon et la délicate métamorphose de Daphné : des doigts qui deviennent branches, des cheveux qui se muent en feuilles.

Technique et effet baroque : L’extraordinaire travail d’« undercutting » (découpe en creux) crée des ombres naturelles, donnant vie au marbre ; la composition spirale invite le spectateur à tourner autour de l’œuvre pour suivre la narration.

2. David (1623–1624)

Instant figé : Contrairement au David du Moyen Âge, Bernini choisit le moment de la tension avant le lancer de pierre.

Analyse formelle : Le twist du torse, l’extrême tension musculaire et le regard concentré dynamisent la scène ; la lance, minimalement suggérée, oriente le geste du regard et amplifie le suspense narratif.

Emplacement : Pièce du rez-de-chaussée, juxtaposée à Apollon et Daphné pour souligner le contraste entre héros biblique et figures mythologiques.

3. L’Enlèvement de Proserpine (1621–1622)

L’histoire : Pluton arrache Proserpine à sa mère, Cérès.

Détails sculpturaux : Bernini dévoile toute sa virtuosité dans le rendu de la chair : la main du dieu enfoncée dans la cuisse de la nymphe, les fibres des vêtements, le glissement des cheveux et les drapés serrés contre la peau montrent une intensité érotique et dramatique sans précédent.

Impact émotionnel : L’œuvre frappe par son réalisme cru et la force expressive des visages ; on ressent à la fois la douleur et l’abandon.

4. Énée, Anchise et Ascagne (1618–1619)

Thème épique : Reprend l’épisode de l’Énéide où Énée porte son père Anchise, guidant son fils Ascagne.

Caractéristiques : Groupe sculpté en marbre illustrant l’effort physique et le lien familial ; les plis des toges et la posture d’Énée soulignent le poids du devoir et le sentiment de piété filiale.

Position dans la collection : Placé en regard du David, ce groupe anticipe les grands ensembles narratifs de l’œuvre romaine de Bernini.

5. Buste du cardinal Scipione Borghese (1632)

Commande et représentation : Bernini sculpte son propre mécène avec une étonnante présence : le visage, à peine idéalisé, affiche l’austérité pontificale, tandis que la finesse du granit des vêtements révèle l’habileté du sculpteur.

Caractéristiques techniques : Jeu de textures entre le fini du visage et le poli des habits ; la coiffure et la culture ecclésiastique sont restituées avec un soin minutieux.

6. Buste de Paul V (1622)

Sujet : Giovanni Bettino Borghese, pape de 1605 à 1621, oncle du cardinal.

Analyse stylistique : Le buste, à l’échelle quasi naturelle, privilégie l’expression solennelle : rides d’âge, volume des joues et finesse des ornements papaux démontrent un réalisme psychologique inédit.

7. Ébauche en terre cuite pour le monument équestre de Louis XIV (vers 1664)

Projet inabouti : Maquette préparatoire en terre cuite montrant Louis XIV en majesté sur un cheval cabré.

Intérêt : Témoigne de la réputation internationale de Bernini et de ses liens avec la cour de France.

L’agencement et la lumière

Les salles de la Galleria ont été conçues pour un parcours théâtral : les niches semi-circulaires, l’éclairage naturel filtré par des hautes fenêtres et le carrelage en damier créent un jeu d’ombres qui accentue le modelé des marbres et suscite l’émerveillement.

Conclusion

Les sculptures de Bernini à la Villa Borghese incarnent l’apogée du baroque : un art en mouvement, tendu entre émotion brute et virtuosité technique, dont le cardinal Scipione Borghese sut faire son constat politique et spirituel. Pour approfondir l’analyse, il est possible de comparer ces marbres aux projets architecturaux de Bernini à Saint-Pierre de Rome (baldaquin, colonnade) et d’observer comment son génie s’étendait de la figure isolée aux ensembles monumentaux.

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