Les fresques de la Galleria Borghese à la Villa Borghese : un dialogue baroque et néoclassique
Les fresques de la Galleria Borghese à la Villa Borghese : un dialogue baroque et néoclassique
1. Contexte historique et architectural
Dès l’élection de son oncle Paolo V Borghese au trône pontifical (1605), Scipione Borghese se lance dans l’aménagement d’une résidence somptueuse sur le Pincio, là où les Médicis et les Farnèse avaient déjà inscrit leur gloire. Entre 1613 et 1620, sous la direction de Flaminio Ponzio (architecte officiel du pape) puis de Giovanni Vasanzio, la Villa Borghese prend forme : un corps de logis à deux niveaux, subtilement calqué sur la Villa Médicis — façade articulée, portique largement ouvert sur les jardins suspendus, ordre colossal doriques et corinthiens, patios à caissons. L’ensemble répond à deux ambitions : affirmer l’autorité spirituelle de la famille et offrir un cadre propice à la « mise en scène » de ses collections d’art.
2. Le cycle baroque de la loggia (1613–1620)
2.1 Commanditaire et programme iconographique
Scipione Borghese, déjà lieutenant du pape pour les affaires artistiques, confie à Lodovico Cardi, dit Cigoli, la décoration en fresque de la « loggia », vaste galerie vitrée. Le choix du mythe de Psyché n’est pas anodin : il mêle érotisme mesuré (l’éveil de Psyché), pathos dramatique (l’abandon dans la grotte) et apothéose triomphale, reflet de la carrière ascendante de Scipione. Entre les supports à l’antique et les jeux d’illusion, la fresque devient manifeste de savoir-faire et d’érudition.
2.2 Analyse stylistique et technique
- Intonaco en deux phases : arriccio grossier puis intonachino lisse, appliqué à la truelle pour obtenir une surface parfaitement absorbante.
- Dessin préparatoire : esquisses au carbone directement sur le mur frais, parfois reprises à l’ocre jaune avant pose des pigments.
- Palette et clair-obscur : vermillon, vert émeraude, bleu de Prusse timide ; modelés nets et touches « pincées » pour animer les plis et donner l’illusion du marbre sculpté.
- Illusion architecturale : colonnes peintes, balustrades en trompe-l’œil, coupoles factices ouvrant sur un ciel brumeux — aubaine pour élargir l’espace réel.
2.3 Un dialogue avec la sculpture baroque
La loggia jouxte les premières œuvres de Gian Lorenzo Bernini à Rome (David, Apollon et Dafné). Les fresques de Cigoli se lisent comme un pendant pictural : dynamiques, émotionnelles, fondées sur la mobilité du drapé et la tension narrative.
3. Le réaménagement néoclassique (à partir de 1770)
3.1 Marcantonio IV Borghese et Antonio Asprucci
À la fin du XVIIIe siècle, la Villa Borghese paraît vieillie ; Marcantonio IV entend l’actualiser dans l’esprit néoclassique. Il mandate Antonio Asprucci, qui, avec les sculpteurs Giovanni Ferrari et Raffaello Moggi et les peintres Tommaso Conca et Domenico Valeri, orchestre un « intérieur total » : fresques, marbres polychromes, stucs ciselés, bronzes et tables de pietra dura dialoguent sans rupture.
3.2 Le Grand Salon : allégorie et pompe familiale
- Voûte à caissons peints : au centre, la Victoire ailée brandit la palme, entourée de putti aux armes Borghese — affirmation guerrière et pacifique d’une lignée.
- Pendentifs des Vertus : Prudence (miroir et serpent), Force (colonne brisée), Tempérance (mélange d’eau et de vin), Justice (balance et glaive). Palette restreinte, glacis délicats, contours précis, rappelant les gravures néoclassiques de Piranèse.
- Stucs colorés : panneaux dorés, cartouches sculptés, filets d’encadrement en relief — le tout conçu pour faire « parler » mur et plafond d’une même langue décorative.
3.3 Salles « Diane » et « Camillus »
- Salle de Diane : chasse de la déesse, hérauts mythologiques et nymphes drapées à l’antique, accent sur la grâce statuaire et la pureté des contours.
- Salle de Camillus : Triomphe de Marcus Furius Camillus — hommage à l’ancêtre légendaire, glorification de la résilience romaine. Allégories de la Fortune (roue) et de la Sagesse (hibou), incluses dans une gloire de guirlandes.
4. Disposition et cohérence muséale
- Rez-de-chaussée : parcours baroque, rythmé par les cycles mythologiques et historiques ; plafonds bas, loggia lumineuse, enchaînement presque théâtral.
- Premier étage (pinacothèque) : prédominance des tableaux (Raphaël, Titien, Caravage) mais rehaussée de petites lunettes et médaillons peints — vestige discret du décor Asprucci, à motifs floraux et guirlandes faufilées dans les boiseries.
5. Signification, héritage et portée patrimoniale
- Mécénat familial : Scipione impose son autorité spirituelle grâce au cycle de Psyché ; Marcantonio IV, sa filiation et son goût pour le « goût grec ».
- Innovation technique : passage du baroque dramatique à la rigueur néoclassique, tout en conservant une approche « totale » du décor.
- Avant-garde du « palais-musée » : la Villa Borghese anticipe la muséification des demeures princières, son intégration actuelle dans le domaine public n’a fait que confirmer cette vocation.
Pour approfondir
- Catalogue raisonné de la Galleria Borghese (éd. 2004)
- Silvia Ginzburg, Villa Borghese et ses décors, Rome, 2011
- Francesco Petrucci, Les fresques romanes : des Médicis aux Borghèse, Paris, 2018
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