Un génie dans l'ombre du Roi-Soleil
Qui se cache réellement derrière les transformations architecturales les plus audacieuses de Versailles ? Si les noms de Le Vau ou Mansart résonnent dans les mémoires, celui de François d'Orbay (1634-1697) reste trop souvent occulté. Pourtant, cet architecte visionnaire fut l'artisan méticuleux des agrandissements décisifs qui firent du modeste pavillon de chasse de Louis XIII le symbole absolu du pouvoir monarchique.
La genèse d'une collaboration royale
De l'atelier de Le Vau aux chantiers versaillais
Formé auprès de Louis Le Vau — premier architecte de Louis XIV — François d'Orbay intègre dès 1662 l'agence royale des Bâtiments du Roi. Son talent de dessinateur et sa maîtrise des innovations baroques italiennes, acquises lors d'un voyage à Rome en 1660, le distinguent rapidement46. À Versailles, il participe activement au premier grand projet d'enveloppe du château entre 1668 et 1670, concevant des solutions structurelles ingénieuses pour intégrer les anciennes constructions dans un ensemble harmonieux.
Le tournant de 1670 : succession et innovations
La mort soudaine de Le Vau en octobre 1670 propulse d'Orbay à la tête des chantiers royaux. Sans jamais obtenir officiellement le titre de Premier architecte, il dirige pendant six ans l'immense chantier versaillais avec une rigueur méthodique. Son premier défi ? achever l'« enveloppe » imaginée par son prédécesseur tout en adaptant les plans aux exigences changeantes du monarque.
Révolutions architecturales sous le règne de Louis XIV
L'embellissement du château originel
D'Orbay opère une synthèse magistrale entre respect du bâti existant et modernité. Il recouvre les façades de brique et pierre de Louis XIII d'un parement de pierre de taille uniforme, unifiant visuellement l'ensemble17. Son intervention sur les toitures — remplacement des combles pentus par des terrasses à balustrades — donne au château sa silhouette horizontale caractéristique.
La maîtrise de la lumière zénithale
Une innovation majeure voit le jour en 1674 : l'escalier des Ambassadeurs. D'Orbay y introduit pour la première fois en France un éclairage zénithal grâce à des lanterneaux savamment disposés, créant un jeu de lumière théâtral sur les marbres polychromes. Ce chef-d'œuvre malheureusement détruit en 1752 influença pourtant l'architecture européenne, jusqu'au château de Herrenchiemsee en Bavière.
Les extensions fonctionnelles : entre pragmatisme et symbolisme
Les chapelles éphémères
De 1671 à 1679, d'Orbay édifie successivement deux chapelles royales dans l'aile sud. La première — rapidement jugée trop exiguë — laisse place à un édifice plus vaste doté d'une tribune royale directe menant aux Grands Appartements24. Ces réalisations préfigurent la chapelle définitive de Mansart par leur orientation nord-sud et leur intégration au circuit cérémoniel.
L'appartement des Bains : un joyau hydraulique
Sous le parterre d'Eau, d'Orbay conçoit entre 1672 et 1676 un complexe réseau de réservoirs voûtés alimentant les fontaines. Ces structures techniques — toujours en service — dissimulent un appartement de bains somptueux orné de marbres rares et de bronzes dorés, prouvant son génie à allier utilité et prestige.
Conflits et héritage : la disgrâce d'un visionnaire
La rivalité avec Jules Hardouin-Mansart
L'arrivée de Mansart en 1676 marque un tournant. Le favori de Madame de Montespan marginalise progressivement d'Orbay, lui retirant la direction des travaux en 1679 malgré l'appui de Colbert. Pourtant, de récentes études — comme celles d'Albert Laprade — révèlent que Mansart reprit nombre de ses concepts, notamment pour la galerie des Glaces.
Redécouverte contemporaine
Longtemps minimisé par l'historiographie officielle, d'Orbay retrouve depuis les années 1960 la place qui lui revient. Les archives exhumées par Laprade montrent son rôle central dans :
- La conception des colonnades du Louvre
- L'aménagement hydraulique des jardins
- L'évolution du style classique français vers plus de sobriété
Versailles comme testament architectural
Une influence durable
Les innovations structurelles de d'Orbay — voûtes autorisant de vastes espaces, intégration des réseaux techniques — préfigurent l'architecture moderne. Son escalier à double révolution inspire encore les architectes contemporains, tandis que ses réservoirs souterrains témoignent d'une approche pionnière de la gestion hydraulique.
L'énigme des sources iconographiques
Un mystère persiste : les nombreux dessins attribués à Le Vau ou Mansart seraient en réalité de la main de d'Orbay. Cette hypothèse étayée par l'analyse graphologique expliquerait pourquoi Louis XIV lui confia jusqu'à sa mort des missions sensibles, comme la construction de la cathédrale de Montauban.
La résilience d'un patrimoine
Si Versailles incarne le génie collectif du Grand Siècle, l'œuvre de François d'Orbay en constitue la colonne vertébrale invisible. Ses solutions architecturales audacieuses — souvent masquées sous les ors et les stucs — ont permis au domaine de traverser les siècles. À l'heure où les restaurations contemporaines révèlent ses techniques innovantes, il apparaît enfin comme ce qu'il fut : un maître de l'équilibre entre tradition et modernité, dont l'héritage façonne encore notre rapport au patrimoine.
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